Entretien avec Piero Messina : « « Sicile » et « enfance » sont pour moi deux termes synonymes »

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Nous avons eu la chance d’interviewer sur Euradionantes le réalisateur Piero Messina, nouveau talent du cinéma italien acclamé pendant sept minutes par le public de la Mostra de Venise au mois de septembre dernier à l’issu de la projection de son premier long-métrage, L’Attente. Ce dernier sera présenté à Nantes dans le cadre du Festival du Film Italien Univerciné qui se tiendra du 29 au 31 janvier 2016. Le film met en scène le personnage d’Anna, touché par un deuil soudain et qui passe ses journées dans la solitude. Seuls les pas de Pietro, l’homme à tout faire, rompent le silence. A l’improviste arrive Jeanne, la petite amie de Giuseppe, le fils d’Anna, qu’il a invitée à venir passer quelques jours en Sicile. Anna ignorait l’existence de Jeanne et Giuseppe est absent. Il va revenir bientôt, très bientôt….. C’est ce que dit Anna à Jeanne. Les jours passent, les deux femmes apprennent lentement à se connaître et attendent ensemble le jour de Pâques, où Giuseppe rentrera pour la procession.

Vous avez choisi deux actrices françaises, Juliette Binoche et Lou Delaâge, pour incarner les deux personnages principaux de votre film. Elles s’adressent donc l’une à l’autre en langue française et aux autres personnages en langue italienne ; cela a-t-il été un choix initial ou a-t-il découlé du choix des actrices ?

Pour le rôle de Jeanne, incarné par Lou Delaâge, cela a été pensé dès l’écriture du scénario. Je voulais que cette jeune fille soit un personnage étranger qui arrive dans un lieu dont elle ignore les codes, en l’occurrence la Sicile. Ce rôle avait donc été pensé dès le début pour une actrice française, alors que pour Juliette Binoche, cela a été le contraire. Juliette était l’actrice idéale pour interpréter le rôle d’Anna et je n’avais pas pensé au fait qu’elle soit française. Le film a donc été réécrit à partir de ce nouveau facteur et cela a créé un phénomène que l’on a qualifié de « double isolement ». Le premier isolement est celui de la maison, ce sont deux femmes dans une maison isolée du temps et du monde. Le second isolement est celui de la langue : elles possèdent une langue commune, qu ‘aucun autre personnage ne connaît, et plus leur intimité grandit, plus les deux personnages se retrouvent dans cette langue et ce passé communs. Leur vérité est ainsi doublement protégée. Cette modification du scenario a donc été un élément de fertilité et non un imprévu auquel nous avons du adapter le film.

Vous semblez très attaché à votre terre natale, la Sicile. Cela était-il important pour vous d’y tourner votre premier long-métrage ?

Oui, cela était fondamental pour moi : j’ai toujours dit que je n’aurais pas pu réaliser ce film ailleurs. Bien que cela soit une histoire assez universelle, qui aurait pu se dérouler n’importe où, c’est un film qui est né à partir de souvenirs de mon enfance. « Sicile » et « enfance » sont pour moi deux synonymes, deux termes qui désignent une seule et même chose. J’ai imaginé de manière instinctive le film dans ces lieux, dans ces atmosphères. L’idée-même de ce film était indissociable de la Sicile : cela a donc été une de mes conditions premières de tournage.

L’influence de la culture sicilienne se ressent énormément dans votre film, principalement dans ses références religieuses : l’image du Christ au début du film, l’image finale de la Madonne, cette attente continue du jour de Pâques. Cela relève-t-il un choix esthétique ou religieux ?

Il n’y a rien de religieux, au sens pieux du terme. Comme je le disais précédemment, le film est né à partir de souvenirs de mon enfance : je me suis remémoré la silhouette de ces personnes qui pleuraient lors des cérémonies pascales et c’est à partir de cela que j’ai commencé à écrire ce film. J’ai effectué une relecture du passage de la Bible à propos de la procession pascale de manière laïque, comme on lirait n’importe quel livre. Et j’ai découvert que l’histoire de cette procession est une très belle histoire : celle d’une mère à qui l’on apprend le décès de son fils. Bien que cette mort soit confirmée de tous, elle décide de partir à sa recherche et erre dans la ville toute la nuit, convaincue qu’il est toujours en vie. Puis, à l’aube, lorsque surgit le soleil, elle le retrouve, vivant. Tous ceux qui lui avaient annoncé sa mort se mettent alors à croire en la résurrection. En lisant cela comme un simple récit et non comme un texte fondamental de la religion catholique, j’ai compris que c’était une magnifique histoire à raconter. Celle d’une mère qui continue à chercher son fils sans croire à sa mort et qui grâce à cet amour inconditionnel provoque sa résurrection. Et les gens autour d’elle se mettent également à croire en sa vérité. Cette référence à la Bible est donc plus une référence littéraire que véritablement religieuse. Ces rites, ces représentations, je les ai envisagés de manière laïque, de manière dramaturgique. Une histoire qui m’a passionné et que j’ai souhaité raconter en la réécrivant bien évidemment. Ce n’est donc pas un film à propos de la religion mais qui en naît.

Il y a dans votre film une grande dimension esthétique, notamment des jeux de lumière, ces passages de l’obscurité à la clarté. Vous êtes souvent comparé par la presse à Paolo Sorrentino, ce parallèle vous plaît-il ?

Je suis comparé à Paolo car j’ai été pendant plusieurs années son assistant-réalisateur. La paresse journalistique conduit donc à cette comparaison que je juge trop facile. Cela ne me plaît ni ne me déplaît. C’est à mon goût une simplification qui ne prend pas en compte de nombreux facteurs. Ce que nos films ont en commun c’est une certaine attention aux détails esthétiques mais que nous exploitons de manière différente. Cela ne me déplaît pas d’être comparé à lui, mais je n’aime pas que cela soit un raccourci journalistique trop facilement employé. Comme je le dis toujours, chaque chose qui m’a émerveillé, chaque moment qui m’a enchanté, se retrouve dans ce que je fais. Je restitue de manière instinctive toute belle chose qui a pu m’émouvoir. Ayant été aux côtés de Paolo pendant de nombreuses années, il est tout à fait possible que certains éléments de son cinéma se retrouvent dans le film que j’ai réalisé. C’est se tromper que de baser l’appréhension de mon film sur sa comparaison avec l’oeuvre de Paolo Sorrentino, comme c’est une erreur de chercher à comparer Sorrentino à Fellini. On a ainsi dit à Sorrentino qu’il y avait beaucoup de Fellini dans « La grande bellezza ». Ces comparaisons empêchent le spectateur de rentrer complètement dans le film.

Une dernière question avant de conclure : quels sont vos projets à venir ?

J’ai différents projets en tête. Je souhaiterais réaliser un autre film mais il est encore trop tôt pour en parler : ce sont pour l’instant de simples images qui ne font pas encore sens. J’espère avoir un scénario prêt d’ici 6 mois. Pour le reste j’ai quelques projets pour la télévision mais j’espère pouvoir faire un film l’an prochain, cela est certain. Le film de Piero Messina, L’attente, est à retrouver au Festival du Film Italien Univerciné Nantes qui se déroulera du 29 au 31 janvier 2016.

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Laurine Pierrefiche et Louise Manzanero, élèves en seconde année de Master Médiation Culturelle et Communication internationale à l’Université de Nantes